Vendredi 3 avril : Toujours plus profond, à la découverte des Éclogites.
Les schistes bleus de l’ile de Groix, dont nous avons parlé hier, nous ont permis de mettre en évidence le mécanisme qui fait « disparaitre » les océans : la subduction océanique ! (https://fr.wikipedia.org/wiki/Subduction)
Seulement, l’ile de Groix est une ile, une ile qui se trouve au bord d’un océan qui existe bel et bien : l’océan Atlantique. L’océan disparu dont nous retrouvons la trace sur l’ile de Groix ne peut donc pas être l’océan Atlantique ! Quel est donc cet océan ? Et quand a-t-il disparu ?
Une manière de déterminer l’âge de la disparition de l’océan est de dater les minéraux qui se sont formés lorsque cet océan a plongé en profondeur. En l’occurrence ici, les minéraux du métamorphisme dans la zone (les géologues parlent de faciès) des « schistes bleus ». Pour cela, nous allons utiliser ce que l’on appelle des isotopes radiogéniques. Attention, ça devient un peu technique, mais promis, ça ne durera pas longtemps. Les isotopes radiogéniques sont des atomes bien particuliers, qui ont la particularité d’être radioactifs. Ils sont donc instables au cours du temps. L’élément initial (que l’on appelle l’élément père) va se transformer en un autre élément, que l’on appelle l’élément fils. La probabilité que cette transformation se produise est constante dans le temps, ce qui fait qu’au cours du temps, de plus en plus d’éléments pères se transforment en éléments fils. Si l’on connaît la vitesse de transformation des éléments pères en éléments fils, le ratio de concentration des différents éléments que l’on mesure dans la roche permet aux géologues de déterminer l’âge de cette roche.
À Groix, les géologues ont utilisé les systèmes radiogéniques Rubidium/Strontium et Potatium/Argon pour dater les roches. Ils ont ainsi pu déterminer que le pic de métamorphisme, qui traduit l’enfouissement maximum des roches, s’est produit entre 360 et 370 millions d’années. L’océan qui a disparu est donc forcément plus ancien que cet enfouissement. Quel est donc cet océan ?
Et bien, pour répondre à cette question, regardons la répartition des continents à la surface de la Terre il y a 465 millions d’années : https://planet-terre.ens-lyon.fr/…/paleogeographie-varisque… (source : P. Matte, 2001). Sur cette figure nous pouvons remarquer un tout petit continent de couleur orange légendé Armorica : c’est notre future Bretagne. Au nord, se trouvait un grand océan, l’océan Rheïc, et au sud, un plus petit : l’océan Galice-Massif-central. Lorsque tous les continents se sont réunis pour former la Pangée (et la chaine Hercynienne), les océans qui se trouvaient au milieu ont disparu par subduction. Les schistes bleus que nous retrouvons à Groix témoignent de la subduction de l’océan qui se trouvait alors au sud du continent Armorica : l’océan Galice-Massif-central.
Mais lorsque cet océan est parti en subduction, jusqu’à quelle profondeur est-il allé ? Et bien les schistes bleus de Groix nous prouvent que cet océan est descendu jusqu’à au moins 45 à 60 km de profondeur. A-t-il pu aller plus profond ?
Eh bien oui, et pour vous le prouver, il faut quitter un peu la Bretagne pour aller quelques kilomètres au sud de la Loire, sur la commune de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (https://goo.gl/maps/yGLBpCAKdu98ddti7), à proximité du lac éponyme.
Dans le mur de certaines maisons, nous pouvons observer les magnifiques roches qui illustrent cet article. Dans ces roches, on retrouve de gros minéraux de couleur rouge sombre : ce sont des Grenats de taille remarquable (plusieurs centimètres). La matrice de couleur vert clair qui entoure ces grenats est constituée d’Omphacite (https://fr.wikipedia.org/wiki/Omphacite).
Cet assemblage de Grenats et d’Omphacite permet d’identifier cette roche comme une éclogite. Les éclogites sont des roches métamorphiques qui se forment dans des conditions de haute pression et de basse température. Comme pour les schistes bleus, ces conditions sont réunies lors d’une subduction océanique et les digrammes de pressions-température nous indiquent que les éclogites se forment à une pression encore plus importante que les schistes bleus ( voir http://christian.nicollet.free.fr/page/Figures/1.html). Qui dit pression plus importante, dit également profondeur plus importante : donc oui, l’océan Galice-Massif-central est bien descendu plus profondément que 60 kilomètres, et ces éclogites nous le prouvent.
Enfin, on observe très bien sur les photos une auréole de couleur vert sombre autour des grenats. Cette auréole traduit une déstabilisation minéralogique de l’assemblage Grenat + Omphacite qui s’est produite lors de la remontée de l’éclogite vers la surface. C’est ce que l’on appelle une réaction rétrograde.
Jonathan Mercier, Docteur en Sciences de la Terre et Accompagnateur en moyenne montagne.
PS : L’ensemble des photos qui illustrent cet article ont été prises à l’occasion d’un voyage géologique en Bretagne que j’ai eu le plaisir d’encadrer l’année dernière. Je ré-organise ce voyage cette année du 29 juin au 5 juillet 2020. N’hésitez pas à me contacter si vous êtes intéressés pour y participer.
Bibliographie complémentaire sur les éclogites de Vendée:
-P. Matte, 2001. The Variscan collage and orogeny (480–290 Ma) and the tectonic definition of the Armorica microplate : a review , Terra Nova, 13, 2, 122-128
-Ballèvre, Michel & Bosse, Valérie & Dabard, Marie Pierre & Ducassou, Celine & Fourcade, Serge & Paquette, Jean-Louis & Peucat, Jean-Jacques & Pitra, Pavel. (2013). Histoire Géologique du massif Armoricain : Actualité de la recherche. Bull. Soc. Géol. Mineral. Bretagne. 10.
J’ai initialement publié ce texte sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.