L’Ophiolite de Chamrousse : l’autre océan des Alpes.

Lundi 6 avril : Chamrousse, l’autre océan des Alpes.

Je vous ai déjà parlé de l’Ophiolite du Chenaillet, relique de l’océan Alpin que l’on retrouve dans les Hautes Alpes, à proximité de la frontière italienne. Et bien ce n’est pas la seule trace d’océan que l’on retrouve dans les Alpes, une très belle Ophiolite existe également de l’autre côté des Alpes : c’est l’Ophiolite de Chamrousse. Elle est accessible par une randonnée de 600m de dénivelé positif depuis la station de ski de Chamrousse, au-dessus de Grenoble (https://goo.gl/maps/ZfVFRJQAou4eHuxm8).

Panorama vers l’Oisans depuis l’Ophiolite de Chamrousse.

Si ces deux Ophiolites sont toutes les deux des témoignages d’anciens océans, elles présentent des roches très différentes. Mais pourquoi une telle différence ? Et bien tout simplement, parce que ces deux Ophiolites ne viennent pas du même océan.

Tout d’abord, elles n’ont pas le même âge. Si la datation du Chenaillet est délicate pour des raisons que je ne vais pas détailler ici, nous pouvons estimer que les roches que nous retrouvons au Chenaillet se sont formées entre -200 et -150 millions d’années. À Chamrousse, la datation est beaucoup plus précise et les géologues ont pu estimer que la portion de lithosphère océanique dont nous retrouvons la trace à Chamrousse s’est formée il y a environ 500 millions d’années.

Panorama vers les Vercors depuis l'Ophiolite de Chamrousse. On voit très bien la dent de Crolles.
Panorama vers les Vercors depuis l’Ophiolite de Chamrousse.

Ces deux océans se sont donc formés à prés de 300 millions d’années d’écart : 300 millions d’années, c’est une période de temps considérable ! D’ailleurs, cela correspond à peu près au temps nécessaire pour former la Pangée, éroder la chaîne Hercynienne puis disloquer la Pangée !

L’Ophiolite que nous retrouvons à Chamrousse provient donc d’un des Océans dont la fermeture a entrainé la formation de la Pangée : l’Océan Rheïc ou l’océan Galice-Massif-central dont nous avons déjà parlé. Si la plus grande partie de ces océans a disparu en subduction, une petite partie a été préservée sous forme d’Ophiolite dans la chaîne Hercynienne. Cette Ophiolite a ensuite survécu à la disparition de la chaîne Hercynienne pour se retrouver sur le bord d’un continent lorsqu’un nouvel océan s’est ouvert : l’Océan Alpin.

Gabbro de l'Ophiolite de Chamrousse. En blanc les feldspath, en vert la hornblende verte en en brun les pyroxènes.
Gabbro de l’Ophiolite de Chamrousse. En blanc les feldspath, en vert la hornblende verte en en brun les pyroxènes.

Suite à la subduction de cet océan Alpin, la collision entre l’Apulie (l’actuelle Italie) et l’Europe déforme le bord du continent européen, que l’on appelle une marge passive. Cette collision soulève un des blocs basculés qui se trouvait alors sur la marge du continent européen. Ce bloc basculé forme le massif de Belledonne que nous connaissons actuellement, dans lequel se trouve l’Ophiolite de Chamrousse (n’hésitez pas à retourner voir le post sur le Col d’Ornon si vous voulez en savoir plus sur les blocs basculés).

On le voit, l’Ophiolite de Chamrousse est donc le témoin d’une longue et tumultueuse histoire ! Mais concrètement : à quoi ressemble cette Ophiolite ?

Et bien tout d’abord, on retrouve de la serpentine qui provient du métamorphisme hydrothermal de la Péridotite du manteau. Lors de cette circulation d’eau chaude en profondeur, l’Olivine, le minéral principal de la péridotite, se transforme en Serpentine. Lors de cette circulation d’eau chaude, un autre minéral se forme également : l’Amiante. Ce minéral fibreux cristallise dans les fissures de la roche. Il a longtemps été utilisé dans la construction, comme isolant, ou dans le textile pour ces propriétés ignifuges. Cependant, son caractère cancérigène fait que ce minéral n’est plus du tout utilisé et qu’il a été retiré, à grands frais, de tous les bâtiments où il se trouvait.

Filon d'amiante dans les serpentinite de Chamrousse.
Filon d’amiante dans les serpentinite de Chamrousse.

Dans cette serpentinite se trouve également un autre minéral exceptionnel : la Chromite ! Cet oxyde de Fer et de Chrome se forme dans le manteau lors de la fusion partielle de celui-ci. Ce sont ces roches qui sont aujourd’hui le principal gisement de Chrome, élément indispensable à la confection d’acier inoxydable parmi bien d’autres choses !

Chromite dans la serpentinite de Chamrousse.
Chromite dans la serpentinite de Chamrousse.

Cette serpentinite, facilement érodable, va former des dépressions dans lesquels se développent les nombreux lacs de la région tels que le lac Achard ou les lacs Robert.

Panorama vers les lacs Roberts depuis la croix de Chamrousse. Ces lacs se sont formés dans la serpentinite, roche facilement érodable.
Panorama vers les lacs Roberts depuis la croix de Chamrousse. Ces lacs se sont formés dans la serpentinite, roche facilement érodable.

Au-dessus de la serpentinite se trouvent les gabbros. Les Gabbros de Chamrousse présentent une diversité de faciès et de minéralogie très intéressante, avec notamment une foliation largement répandue. Cette foliation témoigne d’une déformation à chaud dans la chambre magmatique : ce sont les fameux gabbros lités. D’autres zones très riches en minéraux ferromagnésiens témoignent d’une différenciation magmatique importante. L’Ophiolite de Chamrousse donne donc un aperçu très complet des différents processus physico-chimiques à l’oeuvre au niveau de la dorsale !

Gabbro de Chamrousse présentant un foliation acquise à chaud.
Gabbro de Chamrousse présentant un foliation acquise à chaud.

Au-dessus de ces gabbros se trouve un petit complexe filonien bien marqué, avec toute une série de filons de basaltes qui s’entrecoupent, certains présentant de gros phénocristaux de feldspath, d’autres non.

Basalte de Chamrousse : on observe bien les gros Feldspaths.
Basalte de Chamrousse : on observe bien les gros Feldspaths, en blanc.

Et au-dessus ? Et bien au-dessus, jusqu’a maintenant, il n’y avait rien de connu. Jusqu’à l’année dernière tout au moins … Et là, je vous réserve un petit scoop, mais ça, je vous en parlerai demain !

Nous avons donc vu que l’Ophiolite de Chamrousse est une très belle Ophiolite qui présente une section très complète de croûte océanique (section qui va bientôt se compléter un peu plus ! ;-)). La diversité des affleurements permet de discuter de nombreux processus qui se produisent au niveau des dorsales océaniques, tels que la fusion partielle ou la cristallisation fractionnée. De plus, sa longue histoire (environ 500 millions d’années), est l’occasion idéale de prendre un peu plus de recul sur l’histoire de la formation des Alpes afin d’y intégrer l’histoire des vieilles roches provenant de la chaîne Hercynienne. Roches qui constituent ce que les géologues appellent aujourd’hui le socle et que l’on retrouve dans les plus grands massifs des Alpes françaises (par l’altitude): le Mont Blanc et le massif des Écrins (mais ce ne sont pas les seuls a être constitués de socle).

Jonathan Mercier, Docteur en Sciences de la Terre et Accompagnateur en moyenne montagne.

PS : L’Ophiolite de Chamrousse est une destination idéale pour une sortie de lycée sur le thème des Ophiolites. Cette sortie peut se faire à la journée (45 min de route de Grenoble) ou dans le cadre d’un séjour de plusieurs jours comprenant, par exemple, les structures de distension de l’Oisans et les structures de raccourcissement des Écrins ou des Préalpes. N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez plus de précisions : www.asso-cgo.fr

PS 2 : Les géologues du Centre de Géologie de l’Oisans sont en train de travailler, en partenariat avec la commune de Chamrousse, sur la réalisation d’un sentier de découverte géologique de l’Ophiolite de Chamrousse. N’hésitez pas à vous abonner à la page Facebook du Centre de géologie de l’Oisans pour être prévenu de l’ouverture de ce sentier !

J’ai initialement publié ce texte sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.