On a marché dans les pas des « dinosaures »!

J’ai initialement publié ce texte sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.

La photo du jour : pendant le confinement, les géologues du CGO vous proposent une photo commentée par jour pour continuer à voyager sur le thème de la Géologie. Bonne (re)découverte !

Mercredi 25 mars : on a marché dans les pas des « dinosaures »!

Aujourd’hui, je vais vous parler de grosses bêtes qui fascinent souvent les jeunes enfants : les « dinosaures » ! Et plus précisément « d’ichono dromopus », qui signifie « traces de courses ».

Si de nombreux sites à empreintes de dinosaures existent en France (dans le Jura, l’Ain, l’Hérault…), celui qui nous intéresse se trouve en Suisse, dans le canton du Valais, au-dessus du lac du Vieil Emosson : https://goo.gl/maps/jra3oqrvEVeWNFgU6

Ce site, découvert en 1976, est accessible au prix d’une marche de 12km pour environ 800 mètres de dénivelé (5 heures de marche). Des découvertes plus récentes (2011 et 2015) ont permis de mettre à jour pas moins de 800 empreintes dans la région !

Une des piste de "dinosaure" du site d'Emosson.
Une des piste du site d’Emosson.

Les empreintes sont facilement visibles sur des dalles de Grès inclinées à 30°. Elles font une dizaine de centimètres de diamètre et nous pouvons identifier les marques de quatre doigts. Les empreintes sont organisées en pistes et sont associées à des « Ripple Marks » (voir le post d’hier) et à des fentes de dessiccations (ou « Mud Crack » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fente_de_dessiccation). Un des aspects exceptionnels du site d’Emosson est qu’en 2020, une équipe de paléontologues suisses a pu reconstruire une trace en ligne droite sur la distance impressionnante de 6,4 km (voir bibliographie complémentaire en bas de cet article). Ces pistes nous permettent d’imaginer les animaux en train de se déplacer sur le site et les indices sédimentaires associés nous permettent de reconstituer le paysage.

Les « ripples marks » nous indiquent une faible profondeur d’eau (nous l’avons vu hier) et les fentes de dessiccations nous indiquent que la région était occasionnellement recouverte d’eau et que ces périodes d’inondations étaient entrecoupées de longues périodes de sécheresse. Enfin, la nature de la roche, du grès, nous indique que les animaux ont laissé leurs empreintes dans du sable (https://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A8s_(g%C3%A9ologie)).

Détail d'une empreinte de "dinosaure" du site d'Emosson.
Détail d’une empreinte du site d’Emosson.

Si l’on remet ensemble tous ces indices, nous pouvons donc reconstruire que l’animal qui a laissé ces traces a marché sur une plage bordée par une étendue d’eau peu profonde qui s’asséchait parfois totalement pour une longue période. En résumé, un environnement similaire à celui que nous avons reconstruit hier au niveau du lac Besson : une lagune ou un lac salé temporaire de type « sebkhas ». Et en effet, les roches (et donc les empreintes) des deux sites ont un âge similaire : elles datent du Trias à environ -240 millions d’années. Ces environnements de mer très salée et peu profonde étaient donc extrêmement répandus en Europe il y a 240 millions d’années et nous en retrouvons des traces à travers toutes les Alpes.

Les empreintes de "dinosaures" du site d'Emosson.
Le site d’Emosson.

Si nous regardons la géologie du site dans son ensemble, il est possible de reconstruire la situation suivante : http://www.geologie-montblanc.fr/Paleo…/Vieux-Emosson-VF.jpg . Sur cette image, nous observons à droite des Gneiss (en rose) qui sont des roches métamorphiques s’étant formées en profondeur sous la chaine Hercynienne. Cette chaine de montagnes s’est érodée pendant le Permien (-350 à -250 millions d’années) pour former une pénéplaine (nous en avons parlé pour le plateau d’Emparis). Cette pénéplaine a ensuite été remplacée par une mer peu profonde au Trias, déposant des Grès et des Dolomies (en orange) : c’est dans ces roches que nous trouvons les empreintes ! Les roches du Trias étant plus jeunes, nous les retrouvons au-dessus des Gneiss. Nous parlerons plus tard du gros ensemble bleu appelé Jurassique que nous retrouvons sur la gauche de l’image.

Vue d'ensemble du site à empreinte d'Emosson au printemps.
Vue d’ensemble du site au printemps.

Nous avons donc des traces, nous savons dans quel environnement ces traces ont été laissées, il ne nous reste donc qu’une question : quel animal a donc bien pu laisser ces traces ? Et bien c’est une bonne question, parce que nous ne le savons pas exactement ! En effet, seules des traces ont été retrouvées à Emosson, mais aucun squelette. Il est donc difficile de déterminer quelle espèce les a laissées. On parle alors d’ichnofossile. Les paléontologues ont pu déterminer que l’animal appartenait au genre des Archosaur, un groupe apparu au Trias et qui n’a pas disparu lors de la grande extinction Crétacé/Tertiaire. L’animal ayant laissé ces traces n’est donc pas un dinosaure au sens propre (ils ont disparu lors de l’extinction Crétacé/Tertiaire) et les descendants de cet animal appartenant au même groupe sont les crocodiles. L’animal ayant laissé sa trace dans le sable était donc une sorte de gros crocodile de 250 ma. Les paléontologues ont pu être plus précis que cela et attribuer ces traces à ce que l’on appelle une ichnoespèce, c’est-à-dire une espèce définie sur la base des traces qu’elle a laissée. L’ichnoespèce en question est Isochirotherium herculis et les traces ressemblent à cela : https://www.researchgate.net/…/Isochirotherium-herculis-A-C…

Le paysage de la région.

Les empreintes visibles à Emossons correspondent donc aux traces d’un ancien animal, plus ancien que les dinosaures, ressemblant probablement à un très gros crocodile qui arpentait les plages d’une mer peu profondes !

Le coupable ? Non, il ne ressemblait probablement pas à ça !
Le coupable ? Non, il ne ressemblait probablement pas à ça !

Le site d’Emosson est libre d’accès et des visites commentées sont organisées (https://www.valleedutrient.ch/…/sentier-geologique-du-vieux…), n’hésitez pas à lui rentre visite (de préférence à l’automne, les névés peuvent être délicats à franchir au printemps).

Plus d’informations :

L’accès au site (attention au printemps, de nombreux névés rendent l’accès périlleux !) : https://www.valleedutrient.ch/…/sentier-geologique-du-vieux…

Bibliographie complémentaire :
https://www.researchgate.net/publication/257909773_Middle_Triassic_chirotherid_trackways_on_earthquake_influenced_intertidal_limulid_reproduction_flats_of_the_European_Germanic_Basin_coasts
https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/feart.2020.00004/full?utm_source=Email_to_authors_&utm_medium=Email&utm_content=T1_11.5e1_author&utm_campaign=Email_publication&field=&journalName=Frontiers_in_Earth_Science&id=508500