J’ai initialement publié ce texte sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.
La photo du jour : pendant le confinement, les géologues du CGO vous proposent une photo commentée par jour pour continuer à voyager sur le thème de la Géologie. Bonne (re)découverte !
Mardi 31 mars : le complexe filonien omanais.
Aujourd’hui, je vous propose d’approfondir la structure de la croute océanique que nous avons vue hier au Chenaillet, et pour cela, quoi de mieux que de retourner voir la plus belle Ophiolite du monde : l’Ophiolite d’Oman.
Nous avons vu hier que la croute océanique se forme à partir de magma issu de la fusion par décompression adiabatique du manteau (une fusion en réponse à une remontée rapide du manteau qui entraine une décompression rapide, sans perte de chaleur). Si ce magma arrive à la surface, il se refroidit rapidement et forme un Basalte, mais s’il reste en profondeur dans la chambre magmatique, il se refroidit lentement et forme un Gabbro (voir le post d’hier). Entre la chambre magmatique et la surface, le magma est transporté par l’intermédiaire d’une sorte de cheminée magmatique qui, en se refroidissant, forme une série de filons que l’on appelle un complexe filonien. Complexe filonien que …… nous n’avons pas vu au Chenaillet, pour la simple et bonne raison qu’il n’existe pas sur l’Ophiolite du Chenaillet !
Alors, à quoi ressemble un complexe filonien ? Et bien on peut voir un très bel exemple de complexe filonien au Sultanat d’Oman, petit pays de la péninsule Arabique. Sur les photos qui illustrent cet article, nous pouvons observer une roche de couleur gris clair en surface et de couleur sombre en cassure. Cette roche est délimitée par toute une série de bandes noires verticales. Ces bandes, espacées de un à deux mètres, délimitent les fameux filons du complexe filonien. La roche qui constitue les filons est une Dolérite, une roche finement cristallisée, intermédiaire entre les Basaltes et les Gabbros, qui traduit un refroidissement du magma à une vitesse intermédiaire. Les bandes sombres sont des bandes de « recuit », qui traduisent la mise en place asynchrone de tous ces filons : lorsque le magma se met en place, il est très chaud et va avoir tendance à bruler (recuire) la bordure des roches encaissantes, plus froides, dans lesquelles le filon se met en place.
Chaque bande présente à l’image traduit donc la mise en place d’un filon, et tous ces filons se sont mis en place de manière asynchrone. Mais pourquoi tous ces filons se mettent-ils en place à des moments différents ? Et bien pour répondre à cette question, il va falloir discuter un petit peu de la dynamique de la dorsale océanique.
Nous avons vu qu’un océan s’ouvre lorsque deux continents s’écartent. Lorsque les continents s’écartent, le manteau remonte. En remontant, le manteau fond, forme un magma et ce magma refroidi pour former de la nouvelle croute océanique au niveau de la dorsale. L’arrivée de nouveau magma, et donc la formation d’un nouveau filon, traduit ainsi la formation d’une nouvelle parcelle de croute océanique, et donc, l’écartement des continents situés de part et d’autre ! L’espacement, géographique, des différents filons que nous voyons sur la photo traduit ainsi la croissance, au cours du temps, de l’océan !
Or, nous savons que tous les continents ne se déplacent pas à la même vitesse (voir : http://s3.e-monsite.com/…/resize_…//PLAQUES-TECTONIQUES2.png). Si tous les continents ne se déplacent pas à la même vitesse, tous les océans ne grandissent donc pas à la même vitesse. L’affleurement que je vous présente ici fait environ 400 mètres de long. Il a donc fallu 2000 ans pour mettre en place tous ces filons si l’océan dont on retrouve la trace sous forme d’Ophiolite à Oman s’ouvrait à une vitesse de 20 cm par an, 4000 ans s’il s’ouvrait à une vitesse de 10 cm par an et 20000 ans, s’il s’ouvrait à une vitesse de 2 cm par an.
Les géologues ayant estimé que l’océan dont on retrouve la trace à Oman s’ouvrait à environ 10 cm/an (ce qui est plutôt rapide), on peut estimer que la quantité de roches que l’on voit sur les photos que je vous présente ici correspond à la quantité de nouvelle croute océanique qui s’est formée en 4000 ans !
Mais pourquoi y a-t-il un aussi beau complexe filonien à Oman alors que l’on n’en retrouve aucune trace au Chenaillet ? Et bien une fois de plus la réponse est à chercher dans la dynamique de la dorsale. Plus l’océan grandit rapidement, plus le manteau remonte rapidement, donc plus il arrive chaud à proximité de la surface et plus il fond. À l’inverse, si l’océan grandit très lentement, le manteau va refroidir au cours de sa remontée. Il se retrouvera donc à proximité de la surface avec un déséquilibre thermique limité ce qui engendrera un faible taux de fusion. Si une grande quantité de magma est présente, il va se répartir entre la chambre magmatique et la surface par l’intermédiaire d’un complexe filonien bien développé. À l’inverse, si seule une petite quantité de magma est produite, le magma va parfois rester en profondeur et former des Gabbros, parfois arriver en surface et former des Basaltes. La surface n’étant pas alimentée en magma régulièrement, il ne se forme pas de complexe filonien.
Pour résumer, le beau complexe filonien que l’on peut voir à Oman traduit une ouverture rapide de l’océan : on parle de dynamique de dorsale rapide. À l’inverse, l’absence de complexe filonien au Chenaillet traduit une faible production de magma, associé à une dynamique de dorsale lente. L’océan Alpin, dont on retrouve la trace au Chenaillet, s’ouvrait donc à une vitesse relativement limitée, inférieure à 2 cm par an.
PS : Les photos illustrant cet article (comme tous ceux sur Oman, Ici et Ici) ont été prises à l’occasion d’un voyage géologique organisé par le Centre de Géologie de l’Oisans en décembre 2018. Merci aux participants de ce voyage (qui apparaissent sur certaines des photos) !