J’ai initialement publié ce texte sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.
La photo du jour : pendant le confinement, les géologues du CGO vous proposent une photo commentée par jour pour continuer à voyager sur le thème de la Géologie. Bonne (re)découverte !
Lundi 30 mars : Le chenaillet, à la découverte de l’océan Alpin !
Dans les Alpes, à proximité de la frontière italienne sur la commune de Montgenèvre, se trouve une montagne sur laquelle tous les géologues de France, et certains géologues venant de beaucoup plus loin, ont trainé leurs chaussures : Le Chenaillet (https://goo.gl/maps/QMYqEKJAnT2DWUjGA).
Si cette montagne est aussi célèbre parmi les géologues et visitée par des milliers de lycéens tous les ans, c’est parce qu’elle est constituée d’un morceau de lithosphère océanique. Comment ce fait-il qui y ait un morceau d’océan ici, au milieu des Alpes ? Comment cet océan s’est-il formé ? Comment s’est-il retrouvé au milieu d’une chaine de montagnes ? Autant de questions que cette montagne pose et auxquelles elle permet (au moins en partie) de répondre.
Tout d’abord, pourquoi y a-t-il eu un océan dans les Alpes ? Et bien nous avons vu au col d’Ornon que lors de la dislocation de la Pangée, le continent s’étire. En s’étirant, le continent s’amincit, d’importantes failles normales se forment, et une importante dépression se forme en surface. C’est la période de « Rifting ». À force de s’amincir, le continent finit par se rompre, et le manteau terrestre, normalement situé sous les continents, se retrouve en surface. Lors de cette remontée du manteau, la pression subie par celui-ci diminue, mais sa température reste globalement constante, il commence alors à fondre. On parle de fusion par décompression adiabatique : je vous en ai déjà parlé à l’occasion des photos du « mur Géotimes » à Oman.
Une partie du magma ainsi produit va se retrouver en contact de l’eau (qui était venue remplir la dépression formée par la rupture du continent) et va se refroidir très rapidement. C’est comme cela que se forme le Basalte, une roche magmatique volcanique (https://fr.wikipedia.org/wiki/Basalte). Au contact de l’eau, un effet de trempe donne une forme de coussin aux basaltes : ce sont les fameux pillow-lavas que l’on retrouve au Chenaillet (voir photo).
Si le magma reste en profondeur, dans ce que l’on appelle une chambre magmatique, il va refroidir beaucoup plus lentement. En raison de ce refroidissement plus lent, de gros minéraux vont se former. La nature de ces minéraux dépend de la chimie du magma qui se refroidit. Au Chenaillet, ce sont principalement des feldspaths et des pyroxènes qui se forment. La roche ainsi formée s’appelle un Gabbro (https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabbro).
Entre la chambre magmatique, en profondeur, et les basaltes, qui se forment en surface, le magma est transporté dans des filons, filons que nous ne retrouvons pas au Chenaillet.
Enfin, en dessous des Gabbros se trouve le manteau qui est constitué de Péridotites. Ces trois roches, dans cet ordre-là, forment ce que l’on appelle une lithosphère océanique. En raison de circulation d’eau chaude dans la lithosphère océanique, la péridotite a été transformée en serpentinite, c’est ce que l’on appelle le métamorphisme hydrothermal, nous aurons l’occasion d’en reparler.
Si l’on regarde le Chenaillet, nous pouvons observer ces trois roches avec les Basaltes en cousins au sommet, les Gabbros à une altitude intermédiaire, et la Serpentinite, en bas. Le Chenaillet correspond donc bien à un morceau de lithosphère océanique !
Si le Chenaillet est un site exceptionnel qui attire les géologues, c’est qu’il est un témoignage rare de l’existence d’un océan en lieu et place des Alpes, suite à la dislocation de la Pangée. Cet océan séparait l’Europe d’un autre petit continent : l’Apulie. La disparition de l’océan Alpin a entrainé le rapprochement puis la collision de l’Europe et de l’Apulie, à l’origine de la formation des Alpes ! Lors de cette collision, un petit morceau de lithosphère océanique a été préservé et transporté au sommet de la chaine de montagne : c’est l’ophiolite du Chenaillet.
PS : Le Chenaillet est une randonnée géologique classique des Alpes françaises et des panneaux d’interprétation sont là pour vous guider dans sa découverte. Relativement accessible avec ses 800 mètres de dénivelé, il ne faut cependant pas oublier que cette randonnée se déroule en moyenne montagne et que le sommet atteint 2650 mètres d’altitude. La météo peut changer très brutalement et la neige qui persiste longtemps au printemps peut rendre l’arête périlleuse : soyez prudent. Si vous êtes professeur de SVT et que vous souhaitez faire découvrir le Chenaillet à votre classe en compagnie d’un docteur en sciences de la Terre, accompagnateur en moyenne montagne, n’hésitez pas à nous contacter : https://asso-cgo.fr/
PS 2 : Il y aurait beaucoup plus à dire sur le Chenaillet, c’est encore un sujet de recherche à l’heure actuelle et la géologie du massif est encore très discuté. Si vous souhaitez approfondir le sujet, les références de certaines de ces publications récentes sont disponibles ci-dessous (la plupart des pdf sont accessibles via Google Scholar):
-The Chenaillet Ophiolite in the French/Italian Alps: An ancient
analogue for an oceanic core complex? G Manatschal, D Sauter, AM
Karpoff, E Masini, G Mohn… – Lithos, 2011 – Elsevier
-New isotopic
constraints on age and magma genesis of an embryonic oceanic crust: The
Chenaillet Ophiolite in the Western Alps XH Li, M Faure, W Lin, G
Manatschal – Lithos, 2013 – Elsevier
-A type sequence across an ancient magma-poor ocean–continent transition: the example of the western Alpine Tethys ophiolites
G Manatschal, O Müntener – Tectonophysics, 2009 – Elsevier
-Petrologic and stable isotopic studies of a fossil hydrothermal system
in ultramafic environment (Chenaillet ophicalcites, Western Alps,
France): processes of …
R Lafay, LP Baumgartner, S Stephane, P Suzanne… – Lithos, 2017 – Elsevier.
-Alpine Jurassic ophiolites resemble to the modern central Atlantic basementLagabrielle Y. et Cannat M. – Geology, 1990