« La mère de tous les affleurements » (Oman) !

Ce texte a initialement été publié sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.

La photo du jour : pendant le confinement, les géologues du CGO vous proposent une photo commentée par jour pour continuer à voyager sur le thème de la Géologie. Bonne (re)découverte !

Samedi 21 mars : « La mère de tous les affleurements » (Oman) !

Un nom évocateur, je vous l’accorde, mais amplement mérité et largement répandu, la preuve : https://bit.ly/3djsijX

Comme hier, l’affleurement dont je vais vous parler aujourd’hui se trouve au Sultanat d’Oman, à proximité de Ras al Hadd, sur la pointe nord-est du Pays, à la jonction entre la mer d’Arabie et le Golf d’Oman (https://goo.gl/maps/8aq5DJPp6Ko323XR6).

Cet affleurement, extrêmement fort visuellement, est constitué d’une alternance de strates rouge brique et blanche de quelques centimètres d’épaisseur. Comment se sont formées ces strates ? Et pourquoi ont-elles cette forme extraordinaire ?

Rapprochons-nous un petit peu de l’affleurement pour y voir plus clair. Si nous regardons les strates rouges avec un microscope extrêmement puissant, nous pourrions voir qu’elles sont constituées de microfossiles d’une finesse et d’une beauté exceptionnelles (image associée). Ces fossiles sont des fossiles de Radiolaires.

Radiolaires. Source : Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Radiolaria… Licence : Domaine public

Les Radiolaires sont des organismes unicellulaires, appartenant au groupe des zooplanctons, qui ont la particularité de produire leurs squelettes à base de silice (SiO2). A contrario, la plupart des espèces de zooplancton construisent leurs squelettes en carbonate de calcium (CaCO3). Les différentes espèces, qu’elles construisent leurs squelettes en silice ou en carbonate de calcium, vivent au même endroit, alors, pourquoi donc ne retrouvons-nous que des fossiles de Radiolaires ici ?

Et bien pour la simple et bonne raison que les squelettes à base de carbonates de calcium ont disparu ! À la mort de l’organisme, son squelette coule et s’enfonce en profondeur dans la tranche d’eau. Au-delà d’une certaine profondeur, que l’on appelle la profondeur de compensation des carbonates et qui se situe aux environs de 4000 mètres de profondeur (plus de précisions ici : https://fr.wikipedia.org/…/Seuil_de_compensation_des_carbon…), les squelettes construits en carbonates de calcium vont se dissoudre et ne vont subsister que les squelettes construits à partir de Silice, cqfd !

Si on synthétise, le fait que cette roche ne soit constituée que de fossiles de radiolaires nous prouve que celle-ci s’est formée par sédimentation au fond d’un océan, à une très grande profondeur : plus de 4000 m de profondeur ! On appelle cette roche une radiolarite, facile non ?

Mais comment est-elle remontée à la surface ? Et pourquoi forme-t-elle un pli aussi beau ?

Et bien si vous avez suivi la publication d’hier, vous devez vous dire que ce n’est pas la première fois que l’on retrouve une roche censée se trouver au fond d’un Océan à la surface en Oman !

Nous avons vu hier que la croute océanique se forme au niveau d’une dorsale océanique par refroidissement d’un magma. Plus nous sommes proches de la dorsale, plus la croute océanique est jeune, et plus elle est chaude. À l’inverse, plus nous nous éloignons de la dorsale, plus la croute océanique devient vieille et donc plus elle se refroidit (https://www.youtube.com/watch?v=dse2IIUbfGc). Au fur et à mesure qu’elle se refroidit, la densité de la croute océanique augmente (c’est le principe inverse de la montgolfière), tant est si bien qu’elle finit par repartir en profondeur dans le manteau terrestre, c’est ce qu’on appelle une subduction. On retrouve de très belles traces de ce mécanisme dans les Alpes et en Bretagne, j’aurais l’occasion de vous en reparler.

Mais………. Ça ne correspond pas à ce que l’on observe sur le terrain ! En effet, en Oman, la croute océanique et les sédiments associés sont à la surface, ils n’ont donc manifestement pas plongé en profondeur dans le manteau ! Il s’est ici produit l’événement inverse de la subduction, c’est ce que les géologues appellent une obduction. Pour bien comprendre, je vous invite à aller consulter les petits schémas disponibles ici : http://www.khayma.com/svtfat/Geology/ophiolites_OMAN.jpg

Commençons par le schéma du bas labellisé « Permien à Cenomanien » qui sont des périodes de temps géologiques correspondant à l’intervalle -300 à -100 millions d’années. Sur ce schéma, on observe que la croute océanique (en blanc à points rouge) se forme au niveau de la dorsale (trait rouge vertical). Quelques millions d’années plus tard (3ème image en partant du bas labellisé « Cenomanien à Turonien »), une subduction intra-océanique se produit (la bande blanche à points rouge plonge dans le vert) puis (image numéro 2 labellisée « Turonien »), la partie nord (à droite) de la croute océanique passe par-dessus la partie sud (à gauche) avant de monter sur le continent (image 1 labellisée « Campanien » vers 80 millions d’années). C’est cette dernière étape, que les géologues appellent une « obduction », et qui a permis la mise en place du « mur Géotimes » dont nous avons parlé hier.

Et nos Radiolarites dans tout ça ? Et bien nos Radiolarites correspondent à la petite bande rouge des schémas précédents (légendé « chert »). On observe que lorsque l’obduction commence à se produire, la petite bande rouge est déplacée, écrasée et déformée par le morceau de croute océanique qui est en train de lui passer par-dessus. C’est ainsi que les Radiolarites se sont retrouvées à terre, plissées d’une manière incroyable, pour le plus grand plaisir de nos yeux !

Voilà pour aujourd’hui. J’espère que ça vous a plu et je vous dis à demain et bon Week-End.

PS : Les photos illustrant cet article (et celui d’hier) ont été prises à l’occasion d’un voyage géologique organisé par le Centre de Géologie de l’Oisans en décembre 2018. Merci aux participants de ce voyage (qui apparaissent sur certaines des photos) !

PS 2 : La recherche dans le domaine des sciences de la Terre est très active sur la région d’Oman, différents modèles existent actuellement. Si j’ai choisi de vous parler de celui-ci plutôt que d’un autre aujourd’hui, c’est principalement pour des raisons de facilité d’accès à un schéma en français. Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à aller l’approfondir ici : https://www.researchgate.net/search/publication…

Source :

Image radiolaire : Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Radiolaria… Licence : Domaine public

Envie d’en voir plus, voilà quelques images supplémentaires de la région :

Édit du 02/01/2021 : Maj du lien des schémas