Samedi 17 avril. L’Ordovicien en Bretagne (1/2) : Les Grès armoricains
Suite à l’article d’hier où Thierry nous a présenté l’exceptionnel gisement à trilobites de Canelas au Portugal, j’ai décidé de vous présenter un autre site du même âge aujourd’hui. Nous restons donc à l’Ordovicien mais nous revenons en France pour (re)découvrir les Grès armoricains et leur histoire géologique. Nous allons voir comment une roche a pu se retrouver deux fois sur une plage … à 470 millions d’années d’écart.
Les « Grès armoricains » sont largement répandus en Bretagne, et plus largement en France et en Europe puisqu’on en retrouve jusqu’en Espagne. Ils présentent une épaisseur très variable (de quelques dizaines de mètres à plusieurs centaines de mètres d’épaisseur), et sont composés de Grès et de Quartzites. Ces roches se sont déposées au début de l’Ordivicien il y a plus de 470 millions d’années. Mais tout d’abord : qu’est-ce qu’un Grès ?
Un Grès est une roche constituée de petits grains arrondis de moins de 2mm de diamètre, autrement dit, de grains de sable. Cette forme arrondie témoigne du transport de ces éléments avant qu’ils ne se retrouvent dans le Grès. Le Grès est donc constitué de l’accumulation de débris d’une autre roche qui ont été transportés par une rivière ou un courant marin. C’est pour cela que le Grès est classé comme roche sédimentaire détritique.
Revenons maintenant à notre « Grès armoricain ». Les photos qui illustrent cet article ont été prises sur la presqu’ile de Crozon dans le Finistère. Nous savons donc maintenant que cette roche est constituée de grains de sable. Mais pouvons nous en dire plus sur l’environnement de dépôt de ce sable, c’est à dire, sur le paysage de la région il y a 470 millions d’années ?
Et bien oui, si l’on regarde attentivement les photos, on peut remarquer que la surface de certaines de ces strates de « Grès armoricains » présente une série de rides ayant différentes orientations. Ces rides sont des rides de vagues ou de courant. Elles montrent que le sable s’est déposé sous une faible profondeur d’eau (suffisamment faible pour que les vagues se fassent sentir). Ces traces sont des Ripples Marks, nous en avons déjà vu de beaucoup plus jeunes au lac Besson.
Sur les photos qui illustrent cet article, les rides de courants présentent des orientations extrêmement variables (quasiment 90° d’écart entre les deux séries de rides). Le courant venait donc d’une direction lors du dépôt d’une strate puis d’une autre direction, très différente, lors du dépôt de la suivante. Ce type de courant, changeant rapidement de direction, peut être trouvé dans ce que les géologues appellent la zone intertidale, c’est-à-dire la zone qui est découverte puis recouverte par l’eau à chaque marée. Il est également possible d’imaginer une zone de divagation de chenaux dans un estuaire.
Ces « Grès ordoviciens » se sont donc déposés sur une ancienne plage ou un estuaire il y a 470 millions d’années. Mais alors, les plages de la presqu’ile de Crozon auraient 470 millions d’années ?
Et bien non ! En effet, il ne vous aura pas échappé que les strates de « Grès armoricains » qui illustrent cet article sont très redressées : 70 à 80°. Elles ne se sont donc bien évidemment pas déposées sur la plage actuelle où le sable se dépose en couches horizontales. Ce basculement de strates du « Grès armoricain » est intervenu lors de la formation de la chaine Hercynienne dont nous avons déjà parlé.
Si nous remettons ces différents éléments dans l’ordre, le « Grès armoricain» s’est déposé sous une faible profondeur d’eau en bordure d’une mer ou d’un océan (ici probablement l’océan Rheïc). Cet océan a ensuite disparu pour laisser la place à une chaine de montagnes : la chaine Hercynienne. Lors de la formation de la chaine Hercynienne, les roches ont été plissées, basculant le « Grès Armoricain » dans la position où nous le trouvons actuellement. Cette chaine de montagnes a ensuite disparu pour laisser la place à une pénéplaine. Enfin, l’ouverture de l’Atlantique a permis à cette roche de retrouver le bord de mer où elle a pris naissance : la boucle est bouclée.
Au-delà de cette longue histoire, cette roche est également très importante lorsque l’on cherche à comprendre les magnifiques paysages de la presqu’ile de Crozon. En effet, cette roche est extrêmement résistante à l’érosion. Elle va donc sculpter les paysages, formant les nombreuses pointes et éperons qui s’avancent en mer et sont caractéristiques de cette région. La dureté du « Grès armoricain » est telle qu’il a longtemps été exploité comme pierre de construction. De plus, la raideur de ses falaises est aujourd’hui prisée des grimpeurs (https://www.grimper.com/site-escalade-pen-hir). Les nombreuses anses, également caractéristiques des paysages de Crozon, se sont quant à elles formées dans des roches plus tendres et donc, plus sensibles à l’érosion.
J’ai initialement publié ce texte pendant le confinement sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.
Jonathan Mercier, Géologue et Accompagnateur en moyenne montagne (AMM).
PS : La plupart des photos qui illustrent cet article ont été prises à l’occasion d’un voyage géologique en Bretagne que j’ai eu le plaisir d’encadrer l’année dernière. Si la situation sanitaire le permet, je réorganiserais ce voyage cette année du 29 juin au 5 juillet 2020. N’hésitez pas à me contacter si vous êtes intéressés pour y participer.