Géologie des lapiaz, karst, grottes et concrétions

Mercredi 15 avril. Les Préalpes : lapiaz, karst, grottes et concrétions.

Scialet, Aven, Chorum, Grottes, Gouffres, Tanne, Pot, Abîme … Ces mots qui parsèment les cartes topographiques des Préalpes, vous les avez déjà probablement rencontrés au gré de vos différentes balades. Et pourtant, malgré la grande diversité d’appellations régionales, tous ces mots désignent le résultat d’un seul et même processus géologique. Processus dont nous allons parler aujourd’hui : la karstification. C’est parti pour la découverte de la géologie du Karst !

Un rapide coup d’œil à la liste des plus longues cavités naturelles de France permet de se rendre compte qu’un nombre significatif d’entre elles se trouve dans les Préalpes : https://fr.wikipedia.org/…/Liste_des_cavit%C3%A9s_naturelle…

Pourquoi y a-t-il un aussi grand nombre de grands réseaux souterrains dans les Préalpes ? Et bien pour une bonne et simple raison : la géologie se prête à la formation de karst ! Mais pourquoi ? Comment se forment ces grottes ?

Concrétions exceptionnelles de la Grotte Vallier (Isére). Photo de Jeremy Boucheteil, publiée avec son aimable autorisation.
Concrétions exceptionnelles de la Grotte Vallier (Isére). Photo de Jeremy Boucheteil, publiée avec son aimable autorisation.

La géologie :

Et bien, tout d’abord, il faut garder à l’esprit que les grottes sont creusées par l’eau. Mais s’il pleut partout en France, les grottes ne sont pas présentes partout : la présence d’eau ne suffit pas, il faut également que la roche soit soluble.

Les Préalpes sont principalement constituées de calcaire (formés par l’accumulation de coquilles d’animaux, nous l’avons vu avant hier) et de marnes (un mélange d’argile et de calcaire). Cette alternance de marnes et de calcaires s’est déposée entre -190 et -70 millions d’années sur la marge européenne de l’océan alpin (ou Téthys). Elle a ensuite été déformée par une série de plis et de failles lors de la formation des Alpes, nous en avons parlé hier.

Le lapiaz en surface. La zone ou l'eau de pluie s'infiltre dans le calcaire. Les motifs géométriques permettent de deviner les guides géologiques permettant à l'eau de s'infiltrer.
Le lapiaz en surface. La zone ou l’eau de pluie s’infiltre dans le calcaire. Les motifs géométriques permettent de deviner les guides géologiques permettant à l’eau de s’infiltrer.

Les grottes se forment principalement dans les calcaires. Cependant, si vous mettez de l’eau sur un petit morceau de calcaire, vous vous rendrez compte que celui-ci est imperméable. Alors comment l’eau peut elle bien creuser une grotte dans une roche imperméable ?

Lorsqu’un calcaire est déformé, un pli se forme à grande échelle, mais si nous le regardons de plus près, on peut observer qu’un grand nombre de petites fractures apparaissent dans ce calcaire. Si la roche se trouve en surface, l’eau va pouvoir commencer à circuler dans le calcaire grâce à ces fractures. En circulant dans la roche, elle va dissoudre le carbonate de calcium (le composant du calcaire), commençant ainsi à former des vides souterrains. Il est intéressant de noter que c’est l’acidité de l’eau qui permet la dissolution du carbonate de calcium. Plus l’eau sera riche en CO2, plus elle sera acide, et donc plus elle creusera la roche.

Une des galeries de la grotte Favot (Vercors). La forme ronde de la galerie montre un creusement en régime noyé (l'eau montait jusqu'au plafond). Le creusement s'est fait à la jonction de deux strates qui ont servi de guides (on devine le joint de strates à mi-hauteur de la galerie). Photo de Jeremy Boucheteil, publiée avec son aimable autorisation.
Une des galeries de la grotte Favot (Vercors). La forme ronde de la galerie montre un creusement en régime noyé (l’eau montait jusqu’au plafond). Le creusement s’est fait à la jonction de deux strates qui ont servi de guides (on devine le joint de strates à mi-hauteur de la galerie). Photo de Jeremy Boucheteil, publiée avec son aimable autorisation.

Le creusement du Karst :

Une fois sous terre, l’eau est guidée par la géologie en suivant les fractures ou les limites de strates. Elle s’enfonce ainsi en profondeur jusqu’à rencontrer un niveau imperméable : un niveau de marnes par exemple. Sur ce niveau imperméable, les petits filets d’eau se réunissent pour former une rivière souterraine (que les spéléologues appellent collecteur). Lorsque cette rivière retrouve la surface au pied du massif, elle forme une émergence ou une source dont certaines sont célèbres en France (fontaine de Vaucluse, source du Doubs et de la loue, fontaine de Nîmes…). Ces sources sont exploitées depuis des siècles pour l’alimentation en eau potable de nombreuses agglomérations.

L'équilibre physico-chimique entre l'eau et l'air de la galerie entraine la précipitation de carbonate de Calcium et la formation de stalactite ou, comme ici, de stalagmites. Photo de Jeremy Boucheteil, publiée avec son aimable autorisation.
L’équilibre physico-chimique entre l’eau et l’air de la galerie entraine la précipitation de carbonate de Calcium et la formation de stalactite ou, comme ici, de stalagmites. Photo de Jeremy Boucheteil, publiée avec son aimable autorisation.

Les concrétions :

En plus de cet intérêt « économique », les grottes renferment également de véritables trésors pour les yeux : stalactites, stalagmites, gours et autres draperies forment de magnifiques paysages souterrains. Comment se forment-ils ? Quand l’eau s’infiltre en profondeur, elle traverse le sol et se charge en CO2. Ce CO2 rend l’eau acide, ce qui lui permet de dissoudre le calcaire.

Au moment ou la goutte d’eau qui circulait dans sol rencontre un vide souterrain, une partie du CO2 va se libérer de l’eau, la rendant ainsi moins acide. Étant moins acide, l’eau ne pourra plus transporter autant de carbonate de calcium dissous, elle va donc en précipiter une partie, ce qui va former ces magnifiques concrétions. L’autre partie du carbonate de calcium dissous, celle qui ne précipite pas dans la grotte, va continuer à être entrainée par l’eau jusqu’à rejoindre la mer ou, si elle est captée par l’homme avant, précipiter dans votre bouilloire !

Un exemple de stalactites et de stalagmites qui viennent progressivement combler une galerie (Grotte Favot, Vercors). Photo de Jeremy Boucheteil, publiée avec son aimable autorisation.
Un exemple de stalactites et de stalagmites qui viennent progressivement combler une galerie (Grotte Favot, Vercors). Photo de Jeremy Boucheteil, publiée avec son aimable autorisation.

En résumé, l’eau s’infiltre en surface à la faveur de fractures. En traversant le sol, elle se charge en CO2. Ce CO2 la rend acide, ce qui lui permet de dissoudre le calcaire et de former les vides souterrains. L’eau chemine sous terre en suivant des objets géologiques tels que des limites de strates ou des failles. La géologie de la région contrôle donc la forme du karst (réseau souterrain). C’est ainsi que la verticalisation des strates liées au développement de l’anticlinal de Sornin (nord du Vercors, voir le schéma d’hier) lors de la formation des Alpes à permis le creusement du Gouffre Berger, la première grotte au monde à dépasser les 1000 mètres de profondeur. L’eau ressort ensuite au pied du massif ou elle poursuit son chemin dans les rivières et les fleuves.

Les grottes sont un milieu fascinant et il y aurait beaucoup plus à en dire, mais ce sera tout pour aujourd’hui.

J’ai initialement publié ce texte pendant le confinement sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.

Jonathan Mercier, Géologue et Accompagnateur en moyenne montagne.

PS : Une grande partie des photos qui illustrent cet article ont été prises par Jeremy Boucheteil et sont publiées avec son aimable autorisation. Elles ont été prises à l’occasion de sorties du GUCEM encadrées par Manu Tessanne (http://www.carnetdecourses.com) et Damien Gruel (http://moniteur-speleo.fr/Moniteur Spéléo).