Vendredi 10 avril : la création du relief alpin.
Jusqu’à présent, quand je vous ai parlé de la géologie des Alpes, je vous ai principalement parlé d’un océan, de son ouverture, de sa croissance, et de sa disparition. Cependant, même le dernier de la classe en géographie sait que les Alpes sont aujourd’hui une chaine de montagnes (la plus belle du monde diront même certains) ! Il y a donc une grande partie de l’histoire géologique des Alpes dont je ne vous ai pas encore parlé. Il est plus que temps de remédier à cela, ce sera donc au programme d’aujourd’hui !
Pour cela, je vous propose d’aller admirer un des plus beaux panoramas des Alpes : la face nord de la Meije. Ce sommet emblématique des Écrins culmine à 3983 mètres d’altitude. C’est le dernier grand sommet des Alpes à avoir été gravi, sa première ascension a été réalisée le 16 août 1877 par trois Français (chose rare à l’époque) Emmanuel Boileau de Castelnau guidé par Pierre Gaspard, guide de la vallée, et son fils.
D’un point de vue géologique, cette magnifique aiguille est constituée de granite et de gneiss. Ces deux roches, âgées d’environ 320 millions d’années, se sont formées dans la racine de la chaine Hercynienne dont nous avons déjà parlé lorsque nous nous sommes intéressés à la géologie du plateau d’Emparis, situé juste en face de la Meije (le 23 mars).
Nous avons vu au plateau d’Emparis que ces roches se sont formées en profondeur, dans la racine crustale de la chaine Hercynienne. Elles sont revenues à la surface lors de la disparition de la chaine Hercynienne et l’érosion de cette dernière a entrainé la formation d’une pénéplaine. Pénéplaine dont on retrouve la trace au plateau d’Emparis. Mais alors, si les roches du plateau d’Emparis ont la même histoire que celles de la Meije, pourquoi le sommet de la Meije se trouve-t-il aujourd’hui prés de 1500 mètres plus haut que le plateau d’Emparis?
Et bien la réponse à cette question se trouve au fond de la vallée, rive gauche de la Romanche, en face du charmant village de la Grave. Si l’on regarde la face nord de la Meije depuis ce village (voir photos jointes à ce post), on remarque que la roche que l’on retrouve au fond de la vallée est très différente de celle qui constitue le sommet la Meije.
Cette roche est beaucoup plus sombre et beaucoup plus sensible à l’érosion, comme en témoignent le paysage plus doux et la présence de prairies. Cette roche est une roche sédimentaire ayant subi un léger métamorphisme : il s’agit d’un calcschiste. Nous avons déjà rencontré cette roche au Col d’Ornon (le 28 mars). Elle s’est formée dans une mer relativement profonde il y a environ 190 millions d’années.
Nous avons donc, en fond de vallée, une roche qui a 190 millions d’années, et au sommet de la montagne, une roche qui en a 320… Ce qui n’est pas tout à fait normal, vous en conviendrez. La roche la plus jeune (qui s’est donc déposée après) devait se trouver au-dessus de la roche la plus vieille. C’est ce que les géologues appellent l’ordre stratigraphique (on aime bien quand les choses sont bien rangées).
Le fait que les roches les plus vieilles se retrouvent ici au-dessus de roches plus jeunes souligne ici un contact anormal. En l’occurrence, une faille inverse (https://fr.wikipedia.org/wiki/Faille_inverse). Ce type de failles se forme en réponse à un raccourcissement horizontal qui force une partie des roches à monter sur l’autre partie des roches. Ce type de mécanisme peut être reproduit de manière expérimentale dans un bac à sable : https://www.youtube.com/watch?v=t2TS01Ro_JM
Le raccourcissement horizontal est donc accommodé par un épaississement vertical. Cet épaississement vertical entraine un épaississement de la croute continentale, et donc, la formation d’une racine crustale. Racine crustale dont la faible densité permet de soutenir la chaine de montagnes et donc, la formation de relief, CQFD !
Le panorama de la face nord de la Meije nous permet de mettre en évidence un des mécanismes qui a permis de former les Alpes telles que nous les connaissons actuellement. La disparition, par subduction, de l’océan alpin entraine les rapprochements des continents qui se trouvent de part et d’autre. À force de se rapprocher, une partie du continent européen est entrainée en subduction par l’océan alpin, mais l’Europe et l’Apulie (l’actuelle Italie) finissent par se rentrer dedans. Cette collision entraine la formation de failles inverses (parmi d’autres choses) qui participent à l’épaississement de la croute continentale et donc, à la formation de relief. C’est à l’occasion d’une de ces failles inverses, le chevauchement de la Meije, que les vieilles roches métamorphiques de 320 ma sont montées au-dessus des plus jeunes roches sédimentaires de 190 ma, formant ainsi l’un des paysages et l’un des objets géologiques les plus impressionnants des Alpes !
Dans le détail, le chevauchement de la Meije a été actif lors de l’une des phases de déformation les plus précoces des Alpes, une phase que l’on appelle la phase pyrénéo provençale, qui s’est produite il y a environ 50 millions d’années et a entrainé un chevauchement vers le NW. Certains esprits taquins pourraient donc souligner que la Meije constitue ainsi le point culminant des Pyrénées !
Sur cette perspective, je vous dis à bientôt !
* Je vous ai déjà parlé de la notion de racine crustale à l’occasion du post sur les plages à grenat du massif des Maures le 19 mars.
PS : Le chevauchement de la Meije est une destination idéale pour une sortie de lycée. Cette sortie peut se faire à la journée (1h30 min de route de Grenoble) ou dans le cadre d’un séjour de plusieurs jours comprenant, par exemple, les structures de distension de l’Oisans et une des Ophiolites des Alpes (Chamrousse ou le Chenaillet). N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez plus de précisions : www.asso-cgo.fr
Pour en savoir plus :
Dumont, Thierry & Simon-Labric, T. & Authemayou, Christine & Heymes, Thomas. (2011). Lateral termination of the north-directed Alpine orogeny and onset of westward escape in the Western Alpine Arc: Structural and sedimentary evidence from the external zone. Tectonics. 30. 10.1029/2010TC002836.
J’ai initialement publié ce texte sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.
Jonathan Mercier, Docteur en Sciences de la Terre et Accompagnateur en moyenne montagne.