Mardi 7 avril : Géologie du Queyras, à la recherche de l’océan alpin disparu.
En différents endroits des Alpes que nous avons déjà visités lors des posts précédents, nous avons déjà abondamment parlé de l’océan Alpin. Nous avons ainsi abordé son ouverture au Col d’Ornon le 27 mars, sa structure au Chenaillet le 30 mars, mais nous n’avons pas encore parlé de sa disparition !
En même temps, cela peut sembler normal, car il est difficile de parler de quelque chose qui a disparu ! Heureusement pour nous il reste quelques traces de la disparition de cet océan dans les Alpes. Ces traces se trouvent principalement dans la partie orientale des Alpes françaises et dans les Alpes italiennes : dans une zone que les géologues appellent la zone liguro-piémontaise (Z. ligure et Z. Piémont. sur cette image : http://www.geol-alp.com/alpes_francaises/alpes_fr_schemas/carte_struct_alpes_a6.gif)
Je vous propose d’aller voir à quoi ressemble cette zone dans un des très beaux massifs des Alpes : le Queyras. Ce massif, apprécié des randonneurs, constitue le bassin versant du Guil, affluent de la Durance. Il culmine à 3385 mètres d’altitude au Pic de la Font Sancte et propose des paysages relativement doux avec une végétation dominée par les prairies. L’ensemble est beaucoup moins minéral que son voisin, le massif des Écrins.
Comme souvent, un paysage singulier traduit une géologie particulière ! En l’occurrence, la géologie de l’est du massif du Queyras qui nous intéresse aujourd’hui est constitué de « schistes lustrés » et de quelques morceaux de lithosphère océanique métamorphisée.
Les « schistes lustrés » sont des calcschistes, c’est-à-dire d’anciens sédiments marins (ou océaniques) composés d’un mélange de calcaires et d’argiles. Ces sédiments sont ensuite métamorphisés par une augmentation de la pression et de la température. Cette augmentation traduit un enfouissement des roches et est associée à une déformation, déformation qui entraine une organisation des différents minéraux sur des plans, formant ainsi un schiste.
Les morceaux de lithosphère océanique sont emballés dans les schistes lustrés et mesurent quelques mètres à quelques centaines de mètres (quelques kilomètres pour les plus gros). Le métamorphisme de cette lithosphère traduit des conditions de métamorphisme de haute pression – basse température caractéristique d’un enfouissement rapide des roches.
Si nous remettons ensemble ces différents éléments, nous avons dans le Queyras des sédiments qui se sont déposés en profondeur sur une lithosphère océanique. Ces sédiments ont ensuite été enfouis rapidement, déformés et « mélangés » à des morceaux de lithosphère océanique. Quel mécanisme géologique a-t-il bien pu produire ce résultat ?
Et bien au Crétacé supérieur, il y a environ 110 millions d’années, l’Apulie et l’Europe, les deux continents qui bordaient l’océan Alpin ont commencé à se rapprocher. Ce rapprochement est associé au plongement en profondeur de l’océan Alpin par un mécanisme que l’on appelle une subduction. Cette subduction se fait sous l’Apulie.
Lorsque l’océan alpin plonge sous l’Apulie, les sédiments qui s’étaient déposés sur la croute continentale sont raclés par le continent et s’accumulent à sa bordure pour former un prisme d’accrétion. De petits morceaux de lithosphère océanique sont également arrachés et incorporés aux sédiments. L’ensemble est ensuite rapidement entrainé en profondeur, entrainant le métamorphisme de Haute Pression – Basse Température que nous retrouvons dans la géologie du Queyras. L’arrivée de nouveaux sédiments sous les roches précédentes pousse ces dernières vers la surface, générant ainsi l’exhumation qui nous permet de retrouver les roches profondes à la surface.
Pour des raisons géométriques, l’enfouissement et l’exhumation sont plus forts à proximité du continent qu’à proximité de l’océan. Les roches ayant atteint les profondeurs les plus importantes se retrouvent donc à l’est du Queyras et en Italie. Cette tendance est très clairement visible dans les estimations de pressions et de températures qui sont réalisées sur les roches du Queyras. Nous voyons sur la figure disponible ici : https://planet-terre.ens-lyon.fr/planetterre/objets/Images/prisme-alpes/prisme-alpes-fig06.jpg que les roches de l’ouest du Queyras ont atteint une profondeur de 25 km pour 300°C soit un début de métamorphisme schiste bleu. Les roches situées à l’est ont quant à elles atteint une profondeur de 43 kilomètres pour une température de 450°C, soit des conditions de métamorphisme à la limite entre les schistes bleus et les éclogites. Des conditions de métamorphismes plus importantes sont retrouvées plus à l’est, en Italie, avec le massif du Viso et la région de Dora Maira, mais j’aurais probablement l’occasion de vous en reparler.
Le massif du Queyras est donc constitué de roches qui se sont accumulées dans un prisme d’accrétion en bordure du continent Apulien lors de la subduction de l’Océan Alpin. La géologie du Queyras, ce petit, mais très beau massif, est donc un témoignage exceptionnel de la disparition de l’Océan Alpin.
Pour en savoir plus :
-Allemand, J.-M. Lardeaux, 1997. Strain partitioning and metamorphism in a deformable orogenic wedge: Application to the Alpine belt , Tectonophysics, 280, 157-169.
-Schwartz, Stéphane. (2000). La zone piémontaise des Alpes occidentales : un paléocomplexe de subduction. Arguments métamorphiques, géochronologiques et structuraux. Documents BRGM, Orléans. 302.
J’ai initialement publié ce texte sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans lors du confinement contre le COVID-19.
Jonathan Mercier, Docteur en Sciences de la Terre et Accompagnateur en moyenne montagne.