J’ai initialement publié ce texte sur la page Facebook du Centre de Géologie de l’Oisans.
La photo du jour : pendant le confinement, les géologues du CGO vous proposent une photo commentée par jour pour continuer à voyager sur le thème de la Géologie. Bonne (re)découverte !
Samedi 28 mars : en route vers l’océan Alpin!
Aujourd’hui, nous continuons notre découverte géologique des Alpes avec un autre grand site de l’Oisans. Un site sur lequel presque tous les étudiants de géologie de France ont usé leur première paire de chaussures de marche : le Col d’Ornon.
Ce col de l’Oisans permet de relier la vallée de la Romanche à la vallée du Drac sans dépasser 1360 mètres d’altitude, et ce, alors que les sommets alentour approchent ou dépassent les 3000 mètres d’altitude. Si ce col est aussi bas (et aussi célèbre parmi les géologues), c’est grâce à la présence d’une importante faille, la bien nommée « faille du col d’Ornon ». Afin de bien comprendre l’importance de cette faille, commençons par regarder le paysage dans son ensemble. Comme les photographies que j’ai du site sont à contre-jour (désolé, j’y retourne dès que possible, promis), je vous propose une petite visite virtuelle par l’intermédiaire de google street view. Il suffit de cliquer sur le lien suivant pour se retrouver au Col d’Ornon en train de regarder vers le Sud : https://goo.gl/maps/Xk9nsSgfTvYzyZvo7
Comme vous pouvez le voir, le relief est très différent de part et d’autre de la vallée. Sur la droite (à l’ouest), le versant est très raide et dépourvu de végétation. Ce sommet, qui s’appelle le Grand Armet, culmine à 2792 mètres d’altitude et est composé de gneiss, une roche métamorphique qui s’est formée il y a plus de 320 millions d’années dans la racine crustale de la chaîne Hercynienne. C’est une roche dont nous avons déjà parlé. Une lecture attentive de la carte géologique du secteur (disponible sur infoterre : http://infoterre.brgm.fr/) permet de se rendre compte q’un petit « patch » de roche du Trias (-240 millions d’années) est préservé au sommet du Grand Armet.
Sur la gauche (à l’est), se trouve le Rochail, culminant à 3022 mètres d’altitude. Ce sommet est également constitué de roches s’étant formé dans la racine crustale de la chaîne Hercynienne. Le centre de la vallée présente lui un relief beaucoup plus tendre et couvert de végétation. Il s’agit de roches du Jurassique inférieur (environ 190 ma). Une mince bande de roches du Trias est présente entre les roches du Jurassique et le sommet du Rochail. Ce panorama est interprété sur l’ardoise de mon éminent collègue et grand spécialiste de la région : Thierry Grand, en photo ci-dessous.
Les roches représentées en rouge sont les roches qui se sont formées dans la racine de la chaîne Hercynienne il y a plus de 300 millions d’années
Les roches représentées en vert sont les roches du Trias qui se sont formées dans une mer peu profonde il y a 240 millions d’années, nous en avons parlé au lac Besson.
Les roches représentées en bleu sont les roches du Jurassique inférieur qui se sont formées il y a 190 millions d’années. Regardons un peu plus en détail ce que peuvent nous raconter ces roches.
Le calcaire marneux du jurassique inférieur que l’on trouve en Oisans contient un grand nombre de petits fossiles que l’on appelle des rostres de Belemnites (voir les photos ci-dessous). Ces rostres sont une partie du squelette de Belemnite, un céphalopode apparenté à la sèche actuelle. Cette ressemblance nous permet de reconstruire l’environnement de vie de ces animaux, et donc, le paysage des Alpes lors du Jurassique inférieur. Les sèches actuelles vivent dans des mers relativement profondes (jusqu’à 200 mètres de profondeur). Le principe d’actualisme nous permet donc d’affirmer que les Belemnites vivaient également dans une mer relativement profonde. Un autre élément qui nous montre que la mer à 190 millions d’années était plus profonde que celle présente dans la région au Trias (-240ma) est la présence de vie. En effet, la mer du Trias était sursaturée en sel (comme en témoigne la formation de roches évaporitiques) et donc impropre à toutes vies. La présence de vie au Jurassique montre donc que la mer était moins salée, et donc, plus profonde.
Ces roches témoignent donc de l’existence d’une mer profonde en lieu et place des Alpes, il y a 190 millions d’années. Mais comment passons-nous d’une mer très peu profonde au Trias, à une mer profonde au Jurassique ? Et d’ailleurs, les roches du Jurassique étant les plus jeunes, elles devraient se trouver au-dessus de toutes les autres roches : pourquoi sont-elles plus basses ici ?
Et bien, la réponse se trouve dans notre fameux paysage du col d’Ornon. Si l’on regarde la répartition des roches dans la partie droite de l’image (et du schéma interprétatif de Thierry Grand), on se rend compte que les roches du Jurassique sont directement en contact avec les roches métamorphiques. Or, dans la logique des choses, les roches du Trias devaient se trouver « prises en sandwich » entre les roches du Jurassique et les roches métamorphiques ? Les roches ont donc ici été déplacées de manière à ce que des roches qui ne sont pas censées se toucher se retrouvent en contact : c’est ce que l’on appelle un contact anormal. Le mécanisme qui permet de déplacer les roches est le tremblement de terre, qui se produit le long d’une faille.
Il y a donc une faille qui passe au col d’Ornon. Une faille extrêmement importante puisqu’elle a permis de descendre les roches que l’on retrouve au niveau du Col de plus de 1000 mètres par rapport à celles qui se trouvent au sommet du Grand Armet. Ce type de faille s’appelle une faille normale (https://fr.wikipedia.org/wiki/Faille_normale). Elles se produisent lorsque l’on déforme les roches en les étirant. En l’occurrence ici, l’étirement des roches s’est produit lors de la dislocation de la Pangée, à la fin du Trias et au début du Jurassique (aux environs de -200 millions d’années). Lorsque les continents s’écartent, de très grandes failles normales se forment et ces failles font basculer les ensembles de roches qui se trouvent de part et d’autre (on appelle ces ensembles de roches des blocs basculés : http://lithotheque-svt.ac-rennes.fr/…/b…/blocs_bascules.html). C’est comme cela que les roches du Jurassique que l’on retrouve au niveau du col se retrouvent plus basses que les roches du Trias, préservées au sommet du Grand Armet.
En s’étirant, le continent s’amincit (pensez au Carambar chaud sur lequel on tire). Au fur et à mesure que le continent s’amincit, la surface du continent descend, ce qui forme une profonde dépression qui se remplit d’eau pour former une mer, profonde également. C’est ce que l’on appelle un Rift (https://fr.wikipedia.org/wiki/Rift), et c’est grâce à ce mécanisme que le paysage évolue pour passer d’une mer peu profonde il y a -240 millions d’années, à une mer profonde, au début du jurassique il y a -190 millions d’années.
La grande faille normale du col D’Ornon est donc un important témoignage de la dislocation de la Pangée et du début de l’ouverture de l’océan Alpin, mais ça, nous en parlerons plus tard ! Cette faille a permis de faire basculer les roches situées sur le versant est du col (à gauche sur l’image). L’érosion a ensuite creusé plus facilement dans les roches du Jurassique que dans les autres roches, ce qui explique l’altitude relativement modeste de ce col.
PS : Si la faille du col d’Ornon est connue depuis les années 1970, son interprétation en faille normale date du début des années 1980. La compréhension du fonctionnement de cette faille marque un important tournant dans la compréhension géologique des Alpes et le début du règne de la tectonique des plaques. Une très intéressante approche historique de cet objet géologique relaté par un des « découvreurs » est disponible ici : http://www.geol-alp.com/varietes/failornon_anecdot.html
PS 2: Le Col d’Ornon est un site idéal pour illustrer le programme de première, si vous souhaitez y emmener votre classe, n’hésitez pas à nous contacter, les géologues du Centre de Géologie de l’Oisans se feront un plaisir de vous y accompagner.
Sources :
Photo de fossile de Belemnite : https://fr.wikipedia.org/wiki/Belemnoidea… Licence CC BY-SA 3.0